Mission II : Rituel.

Deux semaines après la première mission au pays de la nuit, Archi pouvait se targuer d'avoir à son actif un entraînement à l'épée avec Tamia Yamazaki. Bon, pas qu'il ait fait des progrès exceptionnels (mais notables, toutefois) avec seulement une seule leçon, mais le Terrien avait fait une découverte tout autre et bien plus incroyable. En effet, durant l’entraînement à la tour bleue avec la reine du pays de l'été, Archibald Grant s'était découvert un pouvoir. Oui, un pouvoir, vous avez bien lu. Le jeune, timide et fragile petit humain n'était en réalité pas si fragile et humain que ça. Enfin, humain il ne l'avait jamais été totalement, certes (même s'il ignorait ce que son père avait fait de lui), mais c'était par contre de ses gènes humain que le pouvoir provenait.

Il n'était pas rare de constater que les humains de la Terre développaient des pouvoirs à leur arrivée sur Emeraudia. C'était le cas qu'Archibald, qui 8 mois après son arrivée dans la dimension pouvait se vanter d'être plus rapide que l'éclair. Bon, certes, en théorie c'est la classe internationale, il pouvait en une seconde atteindre plus de 500m, voir les gens autour de lui parfaitement immobiles (et leur faire donc ce qu'il voulait) et donc être le plus rapide. Hélas dans les faits, son don était moins glorieux. Archi le subissait totalement : parfois ça le piquait, celui-ci se déclenchait sans crier gare et au mieux Archibald arrivait à se rattraper à un mur. Des fois il se mangeait le mur carrément. Le moins que l'on puisse dire était qu'il n'était encore pas du tout maître de son pouvoir.

Pour cette mission-ci Archibald avait prévu le coup, à l'inverse de celle passée. Il avait été convoqué, comme tous les agents de la tour bleue, mais était venu avec son épée. Oui, SON épée, car il l'avait achetée. Une bonne partie de sa paye du mois y était passée mais au moins elle lui correspondait et il avait eu les conseils d'une experte pour la choisir. Cette fois, avec son pouvoir et ses nouvelles techniques de combat, Archibald était prêt à dégommer de l'ange comment ça c'était l'autre mission ?.

Les agents furent envoyés au pays de l'été (dites-moi, on va tous les faire les pays du globe ?), pays où régnait Tamia (ouf, elle, il la connaissait). Le jeune homme avait suivi la foule d'agent de Comynerin (et cette fois il était beaucoup moins stressé erreur) et quand ils furent arrivés au temple de Tamia, malgré lui, Archibald se retrouva tout devant.

Ce qui était bien, c'est que même si être devant n'était pas fait pour les timides et les discrets personnages (ce qu'était donc totalement Archibald), Tamia Yamazaki ne pouvait pas lui faire plus honte que lors de sa première mission. Il était passé pour le derniers des bleus (comment ça c'est ce qu'il était ?!) devant tout le monde et l'avait assez mal vécu.

Quand la jeune femme arriva dans une longue robe blanche, les cheveux lâchés et l'allure emplie d'une sérénité à couper le souffle, Archibald ne put s'empêcher de la trouver magnifique, majestueuse et royale. Elle en imposait, il n'y avait pas de doute (surtout quand on la connaissait assez bien pour savoir qu'elle était aussi incroyable en combat).

Puis elle se mit à parler et leur proposa de les loger pour la nuit, ce qu'Archibald trouva fort gentil. Puis elle leur annonça ensuite qu'ils allaient participer à un rituel et qu'elle allait leur voler leurs pouvoirs, ce qu'Archibald trouva fort déplacé.
WHAT ?! Non mais elle était sérieuse là ? Il avait son pouvoir depuis quelques jours à peine et voilà qu'on le lui volait déjà ! Certains en possédait depuis des dizaines d'années voire des décennies et lui il avait même pas eu le temps d'en profiter ne serait-ce qu'un tout petit peu. C'était pas juste !

« Quoi ? Mais ça fait trois jours à peine que je l'ai ! »

Lança t-il à la reine qui se trouvait quelques pas devant lui, en plaisantant à moitié. A vrai dire il la connaissait un peu et savait qu'il pouvait se permettre ce petit trait d'humour et ce genre de comportement semi-'enfantin'. Il rigolait, mais pas trop. Il avait toujours l'espoir que ce qu'avait dit la jeune reine n'était pas entièrement vrai et qu'elle plaisantait (ou du moins jouait un petit peu). C'était possible, mais à cet instant là seule sa petite remarque ironique aurait le mérite d’éclaircir un peu les volontés de la belle reine.

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« Zen ! Archibald, c'est pas un vol définitif. » Alleya était arrivée derrière le métis et avait posé la main sur son épaule en souriant. Si elle pouvait être aussi affirmative, c'était parce que s'il s'était s'agit d'un vol définitif, elle ne serait pas là, après tout, elle était la fille de Tamia. Au-delà de ça, il y avait d'autres personnes à qui Tamia n'aurait jamais volé pour toujours leurs pouvoirs dans l'assemblée, comme Johan, qui était le père de son neveu (donc du cousin de Alleya) ou bien Katarina, la chouchoute en chef (pour ce que Kate avait pu apprendre en deux semaines sur les relations de sa mère à Savoir). Pour ce qui était de cette dernière, d'ailleurs, même si Alleya n'en avait pas la certitude, il était très probable qu'elle sache exactement qui elle était. La jeune princesse espérait donc seulement qu'elle allait tenir sa langue et ne pas le dire à tout le monde à la Tour. Ce ne serait pas dramatique, mais elle savait qu'elle aurait plus de mal à se faire des amis dans ces conditions.

Jetant un coup d’œil autour d'elle, elle chercha d'autres têtes connues. Elle espérait qu'il y aurait quelques mecs sympas, elle ne s'était pas beaucoup amusé depuis son arrivée à Savoir. Il faut dire qu'elle avait été pas mal prise, entre se cacher dans un placard pour éviter sa mère ou la paperasse pour finaliser son transfert, et bien sûr sa rencontre officielle avec son binôme, Elysa Montgomery. Évidemment, elle aimait bien Archibald pour ce qu'elle en connaissait, mais il aiguisait plus son instinct maternel que son désir. Peut-être parce qu'elle sentait qu'il allait avoir besoin d'elle pour ne pas se faire bouffer comme agent. A ce propos… « Au fait, fais gaffe à comment tu parles là… Si tu crois que la Grande Prêtresse Tamia est stricte, tu risques d'avoir des surprises avec les autres prêtresses… Certaines mangent les hommes impolis pour le petit déjeuner, et ce n'est pas une image, c'est à prendre littéralement. » Elle avait murmuré ce conseil avant de lâcher l'épaule du jeune homme, non sans regarder Raphy avec un petit sourire narquois qui signifiait : il a parlé sans permission, mais non tu ne le puniras, il est avec moi. Même si elle n'en avait pas l'air, Alleya – ou plutôt Ella – était la princesse du Pays de l'été. D'ailleurs, être chez elle n'allait pas l'aider à maintenir sa couverture. Les prêtresses les moins liées à elle (ou le plus liée, ça dépendait du point de vue) avait failli lui faire une révérence en la voyant, mais Miaka et Cilia avaient empêché la catastrophe en intimant à tout le monde de rester droit et immobile dans l'attente de l'arrivée de leur reine.

Comme d'habitude, sa mère était superbe, mais dans un autre genre que lorsqu'elle était à la Tour. Là, elle faisait plus solennelle. On voyait plus en elle la reine que la guerrière implacable, même si son regard était aussi droit et direct qu'à son habitude. Alleya aurait voulu être plus digne d'elle, elle aurait voulu pouvoir l'aider à régner, être digne de son titre de princesse… mais elle était trop faible. Sa place était dans la foule des agents et du commun.

Se positionnant à côté d'Archibald, elle reparla à haute voix, d'un air parfaitement tranquille. Sa mère pouvait bien faire des annonces chocs si elle voulait, elle était trop habituée pour entrer dans son jeu. « C'est la première fois que tu viens au Pays de l'été, n'est-ce pas ? » On remarquera que depuis sa mise en garde, elle le tutoyait. Mais elle l'avait pas mal aidé à survivre lors de la précédente mission de groupe, elle considérait en avoir le droit (puis Alleya, pour le coup, n'était pas très branchée politesses etc., elle en mangeait trop quand elle était dans la peau d'Ella). « Tu verras c'est assez sympa. Au fait, tu sais si ton copain incube est dans le coin ? On a pas eu le temps de faire les présentations la dernière fois ? » Alleya n'avait rien contre les incubes, même si elle ne les laissait jamais se nourrir d'elle sans pouvoir se nourrir d'eux aussi. Et comme elle s'ennuyait… elle faisait la conversation et parlait donc de ce mec aperçut la dernière fois. Notons qu'elle cherchait aussi une autre tête connu, son compagnon de placard, Arawn. En dehors du fait qu'elle aurait préféré ne pas entendre certains morceaux de la conversation qu'ils avaient surpris, elle avait trouvé cette aventure assez drôle.

Il fallait aussi qu'elle mette la main sur sa coéquipière. A force d'effort, elle allait bien finir par réussir à se faire des amis, car elle avait déjà repéré pas mal de monde en seulement un peu plus de deux semaines ! Cela dit, les missions de groupe n'étaient pas forcément idéales pour ça… quoique sa mère avait parlé de dormir sur place, ça pouvait peut-être se transformer en camp de vacances, non ? En espérant que Tamia n'ait pas prévu de la faire dormir dans sa vraie chambre… Rien qu'à cette idée, elle eut un petit frisson.

Pour se donner une contenance, elle passa la main sur sa nuque, frôlant au passage ses épées qui étaient accrochées dans son dos. Au niveau de la tenue, elle portait comme d'habitude l'uniforme de la Tour, noir, moulant, la fermeture éclair ouverte largement sur son décolleté (elle tenait cette manie de Tam'), et le bleu des flammes de l'Agence du côté droit faisait ressortir celui de ses prunelles. Comme elle ne pensait pas qu'on les ferait vraiment se battre au Pays de l'été, elle n'avait pas attaché ses cheveux qui tombaient en cascade blonde autour de ses épaules. Pour un œil avisé, la ressemblance avec sa mère était frappante, mais Alleya dégageait un pouvoir tellement normal en comparaison à sa mère qu'il n'était jamais arrivé que quelqu'un n'y voit plus qu'une ressemblance fortuite. Après tout, beaucoup de démons ayant des ascendants Voleurs d'Âmes étaient blonds aux yeux bleus. Sans que ce soit une généralité, il suffisait d'avoir eu quelques membres de la famille royale dans ses ancêtres, même lointains, pour que ce soit vrai.

Ne cherchant pas à cacher son ennui (pourquoi les faisait-on attendre hein?), elle posa une main sur sa hanche. Sa mère allait devoir se dépêcher de s'expliquer, car si Archibald ne pouvait pas vraiment poser de questions sans prendre des risques, elle, elle n'allait pas se gêner si elle perdait patience (ça aussi, c'était un trait de caractère de Tamia, mais on se serait passé de cette hérédité).

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Quand son biper avait sonné, Cordélia était en train de s'injecter une dose de poison dans son laboratoire. Rien de très neuf, et par le fait, rien de très dangereux. Elle avait commencé à s'injecter des poisons depuis qu'elle avait douze ans, bref, quasiment dix ans finalement. Pour elle, c'était une routine. De toute façon, elle était encore plus dure avec elle-même ces deux dernières semaine qu'elle ne l'était en temps normal parce qu'elle s'en voulait d'avoir été blessée… bien sûr, elle ne se serait jamais pardonné de laisser Ian prendre ce coup, surtout qu'il aurait été mortel, ou du moins bien plus grave, dans son cas. N'empêche, elle avait fini évanoui… à cause de la magie de Quartz en plus. Leur Inya la fatiguait avec sa théorie comme quoi ils devaient toujours affronter leurs faiblesses. Si on lui laissait donner son avis sur la question, elle dirait à leur cher Inya bien-aimé qu'avant de pousser les autres vers la thérapie, il devrait se regarder. Il était vrai qu'il avait la réputation d'avoir beaucoup progressé depuis son arrivée en tant qu'Inya et maintenant, mais n'empêche que son côté sur-protecteur avec les enfants, voire complètement gâteux avec les pupilles de la Tour, ça prouvait qu'il ne s'était pas complètement remis de sa vie avant qu'il soit Inya.

Comme elle était un bon petit soldat bien sage, elle ne disait jamais rien, du moins pas quand il ne la provoquait pas. Il ne l'avait pas fait alors que Cordy savait bien que tout s'y prêtait : elle était blessée pour avoir sauvé Ian, son petit coup de cœur depuis plusieurs mois, voire années (mais semaines si on comptait seulement le moment où elle avait bien voulu l'admettre – à elle-même, c'était suffisant -). Quartz, omniscient qu'il était, avait bien compris que ça ne ferait que la faire reculer. Et comme elle était très intelligente, elle avait lu dans cette absence de réaction les causes qui l'avait provoqué, résultat, elle était contrariée.

Bien que de mauvaise humeur, elle se prépara quand même pour la convocation. Contrairement à d'autres (comme Alleya), elle ne portait pas l'uniforme de la Tour, déjà parce qu'elle était au labo' et que donc elle ne l'avait pas, tout simplement. En revanche, en bon agent qui se respectait, elle avait ses armes.

Rapidement, elle enleva sa blouse et passa son carquois, attrapa son arc et boucla la ceinture avec tous ses poisons. D'un geste sûr, elle releva ses cheveux et y glissa ses aiguilles empoisonnées. Elle observa son reflet dans les toilettes de son laboratoire : son tailleur n'était vraiment pas adapté pour une mission, sans parler de ses chaussures. Elle enleva la veste, décidant qu'il valait mieux avoir un peu froid qu'être gênée dans ses mouvements, observa le tissu de sa jupe pour décréter que le cas échéant elle pourrait toujours le déchirer sur les côtés, et ses chaussures… bah. Si ses talons aiguilles la gênait, elle se battrait pieds nus. Le système D, parfois, c'était tout ce qu'on avait sous la main quand on était appelé d'urgence.

Mais une fois sur les lieux, quand Lantys annonça qu'il les emmenait au pays de l'été, elle se douta qu'il ne serait pas question de bagarre. Quelque part, ça la rassura vu qu'elle n'était pas tout à fait au point niveau vestimentaire, mais elle ne voyait pas ce qu'on pourrait attendre d'eux si ce n'était pas du combat. En effet, les autres personnes présentes étaient des agents, et presque tous avec des pouvoirs offensifs (ce qui n'était pas le cas de Cordélia, spécialisée dans la magie blanche, ça surprenait toujours vu son sale caractère) . S'il n'y avait eu que des agents doublés de scientifiques, elle y aurait vu une mission de recherche, mais là…

Seulement, il n'était pas question de discuter, tout le monde devait venir s'ils étaient convoqués, c'était un ordre de Quartz et de Tamia (visiblement, une fois de plus, Lantys jouait les figurants, Cordy se demandait s'il n'en avait jamais marre de tout ça…. À sa place, elle aurait piqué une crise depuis longtemps, sauf que Lantys était la patience même, pas elle).

Le portail les conduisit sur le parvis du temple principal que Cordélia connaissait pour y avoir fait un entraînement face à une des prêtresses deux ans auparavant. A l'époque, elle était encore en partenariat avec Chris', maintenant, elle était avec Lilian… qui devait être quelque part, mais où… ça… vu le monde qui se pressait sur le parvis, c'était difficile à dire. Jetant un coup d'oeil autour d'elle, elle posa son regard sur un métis qu'elle avait déjà vaguement remarqué deux semaines auparavant sans s'attarder sur son cas. Là, elle se souvint. * Archibald Grant, le livreur terrien ! * finit-elle par se dire, satisfaite d'avoir été jusqu'au nom de l'homme. Mais elle n'alla pas le voir, pas parce qu'elle ne voulait pas lui parler mais parce qu'elle avait repéré Raëlle, une de ses plus proches amies. Johan, son fiancé, ne devait pas être très loin du coup, mais elle alla quand même dans la direction de l'ange. « Salut Raëlle ! Tu sais ce qui nous attends ? »

Les prêtresses étaient arrivées. Elles étaient en ligne et Cordélia laissa son regard passer de Miaka à Raëlle, puis de Raëlle à Miaka. « Pas de bol qu'elle soit là celle-ci. Elle est au courant pour tes fiançailles ? » Vraiment, où était Johan quand on avait besoin de lui, hein ?

Quelques minutes plus tard, Tamia fit son entrée avec plus de classe et moins de violence que d'habitude (aucune porte cassée, pas d'insulte, on progressait…). Néanmoins, l'annonce provoqua une certaine irritation chez Cordélia. Même si elle se doutait que Quartz n'aurait rien autorisé de définitif, elle se demandait comment elle allait terminer ce rituel si on lui prenait toute sa magie, après tout, ils étaient tous ici présents des êtres qui ne faisaient qu'un avec leur pouvoir… Ils allaient être complètement lessivés après ça, et Cordy n'arrivait même pas à estimer pendant combien de temps. En plus, on ne leur avait même encore dit dans quel but exactement est-ce qu'on allait leur pomper leur magie. Parfois le sens de l'humour décalé de la reine des démons était un peu irritant, et pourtant Cordélia en connaissait un rayon en la matière.

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Deux semaines auparavant, juste après leur passage à l'abbaye, j'avais invité Quigg à dîner. C'est que je ne suis pas une sauvage ! Je ne suis sûrement pas la femme la plus abordable des agents de la Tour, mais ça, c'était d'un point de vu purement romantique. Au niveau sociable, j'avais été quelqu'un de très ouvert autrefois, et si ce n'était plus le cas après plus d'une décennie enfermée, je savais encore me montrer tout à fait cordiale. Bien sûr, j'aurais préféré être en binôme avec une femme, j'aurais été plus à l'aise et, comme j'avais grandi dans une société matriarcale, je n'aurais pas ressenti le besoin de m'affirmer dans ce duo. Mais je faisais contre mauvaise fortune bon coeur, essentiellement parce que je n'avais pas réellement le choix et que si je piquais une crise ça ne ferait qu'aggraver l'image que les gens avaient de moi. Ce n'était pas que je tienne à gagner un concours de popularité, toutefois, je trouvais vexant qu'on me juge moi et jamais David. Ok, ok, il avait perdu son bras, il avait sûrement physiquement beaucoup souffert mais il n'était pas complètement blanc non plus. Je n'avais pas été prise de folie quand je l'avais blessé, c'était parce que j'avais appris que notre mariage n'était qu'une vaste fumisterie que j'avais agi comme je l'avais fait.

Bref. Tâchant de passer de mon mieux par dessus les à priori de mon partenaire, je l'avais donc invité à dîner. Il m'avait fallu quelques minutes devant mon fourneau pour me rappeler exactement du régime alimentaire (autre que sanguin) des vampires, ce qui m'avait conduite à faire une soupe pendant que Kylian mettait la table tout en expliquant à Quigg combien c'était cool d'être un agent et qu'il espérait en devenir un, sauf que je n'étais pas d'accord, en mère rabat-joie qui se respecte. Kylian est un adolescent, s'il ne voit pas quel est le problème, moi je le vois très bien. Il est mon fils unique, je ne tiens pas plus que ça à ce qu'il aille affronter des créatures venus d'autres dimensions en risquant sa vie. Je savais que je n'allais avoir une marge de manœuvre que très limités en la matière puisque 15 ans c'est l'âge légal de recrutement des agents et que pour le moment Quartz ne me suivait que parce qu'il n'avait pas besoin du pouvoir de Kylian. Pas encore.

Le dîner s'était plutôt bien passé, j'avais surtout parlé peinture puisque je devais bientôt avoir une exposition dans le centre-ville. Kylian nous parlait du lycée et posait parfois des questions que je jugeais un peu déplacées à Quigg sur les vampires, mais mon regard noir n'avait aucun effet sur mon fils. Il avait le même en stock.

Quand je reçus l'ordre de mission du jour, j'étais dans mon bureau en train de taper un rapport sur une mission de routine que j'avais effectué seule dans la semaine. Comme l'ordre était urgent et prioritaire, j'avais été jeter mon café dans l'évier le plus proche en soupirant. Puis, enfilant mes armes (un pistolet sous le bras dans un holster, et l'autre coincé dans mon jean à l'arrière de mon dos, des poignards aux deux bras et aux mollets), j'allais au point de rendez-vous. L'annonce que nous nous rendions chez moi, au Pays de l'été, ne me fit ni chaud ni froid. Une fois sur place, je considérais même que ce que nous disait ma reine n'avait rien de bien affolant. Comme beaucoup d'autres agents et/ou démons, j'avais l'habitude de sa tendance à vouloir des annonces chocs.

J'aperçus Quigg au loin mais pour l'instant je ne m'approchais pas de lui. Pas que je ne veuille pas lui parler, mais j'étais comme hypnotisée par la ligne des prêtresses face à moi. Comme beaucoup de démons, je respectais la royauté de mon pays, ainsi que le culte de la Déesse Bleue. Pour ce dernier point, c'était aussi parce que ma mère était une prêtresse mineure (elle s'occupait des cultes quotidiens, mais ne dirigeait pas un temple, elle était sous les ordres de Guenevria). J'avais baigné là-dedans depuis que j'étais petite et voilà longtemps que j'avais passé la centaine d'année. J'étais chez moi, et même si c'était sciemment que j'étais retourné à Savoir, respirer l'air de mon pays me faisait du bien. J'étais sûre que je n'étais pas la seule à savourer cet instant dans les démons présents. Par curiosité, et vu que je savais où était mon partenaire, je regardais les autres agents choisis. Pas mal de démons tout de même, même si toutes les races communes étaient représentées, avec même d'autres races comme les vampires ou les vrais fées. J'ignorais encore comment le choix des agents présents s'était fait, mais je soupçonnais quand même que la diversité de pouvoirs ait été un critère.

Enfin, il fallait juste un peu de patience, je n'allais pas tarder à avoir le fin mot de l'histoire, comme tout le reste de mes compagnons.

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Cela ne faisait pas encore un mois que Johan était fiancé à Raëlle. Elle l'avait annoncé à Ian qui ne l'avait pas très bien pris mais Jo' considérait que le jeune homme n'avait rien à dire sur la question. Bon, il ne savait pas ce que ça faisait d'avoir une sœur vu qu'il était fils unique, ça il voulait bien le reconnaître, mais Ian exagérait. De toute façon, de là où il venait, c'étaient les femmes qui commandaient, donc il avait du mal à comprendre le système plus patriarcal des anges. Même s'il était à 100 % humain, avoir grandi au milieu des démons lui avait filé des vieux réflexes et des conditionnements importants. Pour lui, les femmes commandaient, ça ne se discutait pas. D'ailleurs, sa mère était humaine et elle dirigeait tout d'une main de fer chez elle, son père quant à lui obéissait docilement, comme il était diplomate, il prenait toujours les choses sous le bon angle.

C'était même pour ça que lorsqu'il se retrouva au Pays de l'été plus rapidement qu'il ne put l'assimiler et bien trop vite pour qu'il aperçoive sa bien-aimée, il se sentit immédiatement oppressé. Ce n'était pas une question de pouvoir, même de là où il était, il percevait que le pouvoir alentour était calme comme la mer un jour de beau temps. Il ne ressentait aucun danger. C'était seulement son histoire personnelle qui le rendait très mal à l'aise alors que dans la ligne des prêtresses sous le commandement de Tamia, il se trouvait Miaka, son ex et la mère de son fils Junior. Ce dernier ne devait pas être très loin d'ailleurs… Mais il s'en soucierait plus tard vu qu'il était là pour le boulot, pas pour le plaisir. Si on pouvait considérer qu'il lui arrive de mettre les pieds au temple principal autrement que par devoir (en général il prenait Junior chez ses parents à lui, donc loin des prêtresses).

Cherchant quelqu'un avec qui discuter en attendant qu'on leur explique ce qu'ils étaient venus faire là (même s'il se doutait que ça avait un rapport avec la mission de deux semaines auparavant où ils avaient attrapé des anges), il aperçut Daniel. Il avait déjà effectué une mission avec lui et ils s'entendaient relativement bien même s'ils n'étaient ni l'un ni l'autre de grands bavards. C'était peut-être même pour ça que ça s'était assez bien passé.

« Salut Daniel ! Tu as une idée de ce qu'on fait là ? » Pour entamer cette conversation, Johan avait délibérément tourner le dos aux prêtresses ce qui lui évitait de voir Miaka à qui il n'avait pas encore annoncé ses fiançailles (en même temps, ça ne la regarde pas). Elle devait sûrement le savoir par Junior ou même par Tamia (les ragots à la Tour, c'était quelque chose…), ce n'était pas pour autant qu'il tenait à avoir une conversation à ce sujet. Un jour, elle lui avait dit qu'il serait forcé de revenir vers elle, et il comptait bien que ce ne soit pas le cas.

Il discuta un instant avec son collègue quand finalement Tamia fit son entrée. Pour une fois, elle avait vraiment l'air majestueuse. A la Tour, elle était plutôt du genre chef de guerre un peu bourrin, là, elle ressemblait vraiment à une reine. Mais après tout, n'était-ce pas ce qu'elle était ?

Malheureusement, dès qu'elle ouvrit la bouche, ce fut pour faire une annonce choc. Johan sentit la panique monter. Comme son pouvoir était artificiel, qu'est-ce qui allait se passer si Tamia le lui volait ? Est-ce qu'il allait pouvoir le récupérer ? Car il ne doutait pas que pour les autres ce soit le cas, mais chez eux c'était inné, pas chez lui ! « J'aimerais bien d'autres explications... » Grommela-t-il à l'intention de personne et de tout le monde à la fois. Il ne la sentait pas cette histoire !

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Daniel serrait les dents : cinq jours peut-être qu’il se sentait comme grippé, à ne quitter rarement le lit, aimable pénitencier, que pour le minimum. Il avait confié la gestion de sa ferme et de ses animaux aux robots d’entretien. Cela commençait à faire beaucoup, et il était affaibli, les traits creusés, en bonne voie pour ressembler à un fantôme.

Il ne savait si c’était dans la réalité ou dans les dernières brumes de son rêve, qu’il entendit une voix agacée percer le silence du domaine.

« Stupide droïde de majordome ! Puisque je te dis que je peux entrer voir Daniel ! »

Et une odeur de câbles brûlés, suivie de celle du bois dans le même état, s’éleva dans les airs. La porte s’ouvrit, et la voix continua de plus belle :

« Il a été programmé avec les pieds ma parole ! »

Daniel finit par sourire, en comprenant que la paire de couettes artificiellement rose, naturellement couleur de feu, qu’il devinait, n’était pas un songe, paire de couettes qui finit à son chevet.

« Dans quel état je te retrouve ! Cinq jours que t’es encore plus aux abonnés absents que d’habitude, que tu sèches une mission sans que Lucy ne t’excuse… Qu’est-ce que tu couves, sang de démon !? »

Et une démone du feu, elle était. Et scientifique de surcroît. Aussi grande ou à peine plus, qu’une gnomette, Pupuce, de son surnom, avait accueilli Daniel à son arrivée sur Emeraudia, et le connaissait plutôt très bien. Son kit médical ambulatoire à portée de main, elle entreprit de le scanner pour savoir de quoi il souffrait. Mais ses robots affichaient des « erreur ! » sur leur écran. Elle les cogna un peu de la paume de la main, et râla de plus belle.

« Allons donc, c’est quoi encore que ça ? L’informatique m’en veut aujourd’hui ? »

Et elle regarda Daniel, attristée.

« Et je peux même pas te demander de te transformer en un compagnon suffisamment petit pour que je t’amène au labo dans ton état actuel… sans compter qu’il te faudrait retourner à ta forme originelle pour les examens ensuite… Ca te demanderait trop d’énergie…. A moins que…. »

De ses affaires, elle sortit une petite bouteille, comme de yaourt à boire, qu’elle entreprit de faire ingurgiter à son patient.

« C’est riche en calories et quelques micro-éléments. Ca devrait te donner le minimum de force pour ce que je te demande… »

Elle resta ensuite un peu auprès de lui, le temps que son organisme assimile les nutriments, et lui donna un traitement symptomatique. Le regard de Daniel se vivifiait au fil du temps, et elle lui racontait les dernières nouvelles de Comynerin.
Au bout de quelques heures, elle lui demanda :

« Es-tu prêt ? »

Alors, il lui prit les deux mains, sans un mot, pour disparaître : un mulot assoupi s’y était lové… Et elle partit avec son maigre butin, non sans prévenir ses acolytes de toujours qu’elle rentrait au labo et qu’effectivement, son inquiétude était fondée.

Daniel était étendu dans un scanner, poupée de chiffon bardée de capteurs dispatchés sur son torse nu.
Pupuce avait repassé sa blouse de scientifique, et scrutait nerveusement l’écran d’analyse, se mordant la lèvre inférieure.
Si les constantes vitales étaient faciles à avoir, et que d’autres marqueurs signifiaient juste la présence d’une infection, certaines autres analyses lui renvoyaient des messages d’«erreur » et d’ « incompatibilité système » dans la figure. Elle jeta un regard inquiet sur son protégé.

« On ne nous a tout de même pas conçu une arme biologique… Ce serait horrible... »

Daniel eut la force de grommeler sur un ton désapprobateur.

« Si au moins tu parlais plus facilement que je fasse ton anamnèse et… hein quoi ? C’est quoi ce bin’s ? »

Son écran d’analyse lui renvoyait un énième message d’erreur, mais plus loquace cette fois : « Incompatibilité logiciel. Veuillez contacter un vétérinaire ».
_En même temps, dans son cas, cela fait sens…. »

Pupuce sursauta : Vivi avait toujours le don de soigner ses entrées, surtout pour se risquer une boule de feu surprise-réflexe d’autodéfense dans la figure.

« Tu ne pourrais pas éviter de me faire peur bougre d’âne ?
_Ce serait moins drôle ; je suis un clown dans mon genre tu le sais.
_Ce n’est pas le moment ! N’as-tu pas eu mon message ?
_Si, mais je n’ai pas les compétences adéquates ici. Je peux juste apporter mon soutien moral.
_Ben commence par m’éviter une crise cardiaque. Rhaaaa bon, je vais presser Choupi de sortir de sa réunion. »
Et elle téléphona, en lui précisant de ramener son matériel vétérinaire.

Elle arriva peu après, ange au teint diaphane se mouvant comme si rien ne pouvait presser son pas, même pas une guerre ou une bombe atomique. Elle salua succinctement, et regarda les écrans sans un mot. Elle posa la main sur le front de Daniel, sorti de la machine, avec un petit sourire contrit :

« J’aurais dû arriver plus tôt, pardonne-moi. »

Elle parlait excessivement peu, ce qui lui valait une écoute attentive dès qu’elle ouvrait la bouche. Elle défit ses affaires avec dextérité, préleva un échantillon de sang de Daniel dans un tube, tube qu’elle glissa dans un robot d’analyse qui la suivait, assez petit droïde roulant en forme de poire. La machine brilla de différentes couleurs, avant d’éditer un bulletin d’analyse que la vétérinaire saisit aussitôt.

« Rien d’extraordinaire…. » (Pupuce ouvrit de grands yeux à ce moment-là).

Elle prit certains petits flacons de son sac, et les incorpora dans le robot en entrant une commande.

« Une dose de sérum immédiate je te prie, deux autres pour les deux prochains jours…
_As-tu fini de nous faire languir ? éructa à moitié la démone, partagée entre le soulagement et l’impatience.
_C’est un virus porcin qui le fait souffrir…
_Por…cin ? firent en chœur Vivi et Pupuce, interloqués.
_Oui. Le virus est dans une impasse dans son cycle parasitaire, incompatibilité d’hôte. Daniel aurait guéri spontanément avec du temps.
_Si on m’avait dit que Daniel était cochon, je ne l’aurais pas cru… dit Vivi, en souriant à moitié.
_Comment a-t-il contracté ça ? lâcha Pupuce, perplexe.
_... Truffes… gémit Daniel. »

Ils se tournèrent tous les trois vers le souffrant. Choupi sourit.

« Il a utilisé cette forme, et l’odorat associé, pour chercher des truffes.
_Il n’a jamais eu ce genre de problème avec ses métamorphoses avant... murmura Pupuce, soucieuse.
_Il a mal verrouillé son génome au retour. Il restait du cochon en lui (ce qui fit glousser Vivi de plus belle du jeu de mots).
_Tu penses qu’il se dégénère ? … s’inquiéta Pupuce.
_Ou au contraire, il est encore plus souple sur ses modifications génétiques qu’avant », répondit Choupi, une main sur le front de Daniel, l’autre manipulant la seringue qui contenait le sérum qu’elle allait lui administrer.

Elle massa le bras piqué après l’injection.

« Il y aura une amélioration nette d’ici vingt-quatre heures. La troisième dose sera plus une sécurité qu’autre chose. Je les administrerai moi-même.
_Je te reconnais bien là » lâcha Vivi dans un sourire espiègle.

Et il sortit, en rigolant encore de la blague qu’il tenait, non sans avoir auparavant posé une main amicale sur l’épaule de Daniel.

« Ton traitement symptomatique a fait tomber la température, tu peux le recouvrir » conseilla Choupi.

*Plus tard, au pays de l’été*

Daniel se tenait debout au milieu de ses coéquipiers. Deux semaines environ s’étaient écoulées depuis la dernière dose de médicament que l’ange lui avait donnée. Physiquement, il lui semblait être en bonne forme, et il n’avait pas manqué la convocation. Mais il gardait encore un mauvais souvenir de son virus.
Lui qui vivait isolément, à l’extérieur de la ville, avait bien vu le gros inconvénient d’un tel mode de vie. Il reconnaissait bien certaines têtes dans l’équipe, mais était du genre à renforcer le peu de liens qu’il crée plutôt que de s’ouvrir à d’autres.

Le voyage vers le pays de l’été s’était passé sans encombre et Lucy y avait déjà été au moins une fois, donc elle n’était pas totalement perdue pour pouvoir l’assister sur place au besoin. Mais elle aussi n’était pas dans son état normal : tendue, les traits un peu tirés, elle paraissait être le point d’exploser.

« La tension d’une future bataille ? » pensa naïvement Daniel.

Il avait discrètement salué ceux qu’il connaissait déjà : timidement Autumn, qu’il avait aidée à se défaire comme il pouvait d’une meute de chiens amoureux, Johan avec qui il avait travaillé, vint le rejoindre :

« Salut Daniel ! Tu as une idée de ce qu'on fait là ?
_Bonjour Johan, et aucune malheureusement. Je n’ai pas pu participer à la dernière mission de l’équipe, j’étais malade. J’ai bien eu accès à un petit résumé en même temps que la convocation, mais rien ne me vient en tête. La politique et moi…

Et il en était là de son discours quand Tamia fit son apparition avec l’empereur du Ciel. Eux aussi, il les connaissait, et leur vouait un respect tout de même mêlé d’un peu de crainte, l’instinct de survie animalier peut-être.
Il trouva sa crainte d’autant plus fondée quand Tamia évoqua de leur voler leur don, ce qui, pour Daniel, lui semblait presque l’équivalent de se retrouver à poil (sans mauvais jeu de mots) ou de retourner à l’état de bébé en terme de compétence. C’était principalement son don avec les animaux qui sous-tendait toute son existence sur Emeraudia, employé dans les missions, qui l’aidait un peu pour assurer sa couverture, qui lui avait ouvert les portes d’une vie plus sereine ici… sans compter la joie ineffable du plaisir personnel de sentir le vent le porter haut dans le ciel, de nager et voir les fonds marins sans souci de pression ou de respiration… bref la clef d’une plus grande communion avec la nature.

Cette nouvelle lui fit l’effet d’un coup de chandelier sur la tête. Et le regard bref qu’il jeta sur les agents lui confirma qu’il n’était pas le seul à mal encaisser la nouvelle.
Le contraste était d’autant plus saisissant que du côté des prêtresses, qu’il voyait par-dessus l’épaule de Johan, celle que lui avait décrite Lucy, et qui l’avait combattue, arborait un sourire empreint d’une joie féroce.
Ils étaient comme pris dans une toile d’araignée sans savoir ce qui allait leur tomber dessus exactement.

« J'aimerais bien d'autres explications... »

C’était le grommèlement de Johan.

«Moi aussi », renchérit Daniel.

Il porta la main à son fouet. Il savait le manier mais ne l’employait pour ainsi dire jamais. Jamais il n’y aurait recours avec ses animaux, et il préférait changer de forme pour combattre. Quant à ses poings, il portait des coups, comme tout être humain pourrait en être capable, mais rien qui ne ressemblât à un art martial.

« Je vais me sentir très inutile », soupira-t-il.

(1826 mots)

Le bipper de Lucy était sur son comptoir de bois verni et se mit à sonner. C’était un son désagréable, et cela faisait bien longtemps qu’il ne lui était pas parvenu aux oreilles.
La métis était assise à l’une de ses tables, le visage enfoui dans ses bras croisés, sa crinière couronnant le tout, était désorganisée et quémandait une armée de bigoudis pour être plus présentable, une liasse de papiers de comptes et de bulletins de livraison gisait devant elle, une biscotte entamée ornait un coin d’assiette, et un comprimé calmant était dissout dans un verre d’eau à côté, attendant d’être pris (les sorts de soin de Lucy avaient des ratés sur elle vu son état de santé actuel).

Elle grommela.

Ses problèmes de stress et de livre de comptes vacillants portaient un même nom : Quigg Certi.
Ce vautour, ce charognard, ce rapace nocturne, non content d’avoir la main mise sur toutes les adresses festives de Comynerin ou presque, en voulait à sa précieuse taverne, son bébé, et accessoirement un de ses outils de travail quelques fois. Certes, Lucy était plutôt une guerrière dans les faits et dans l’âme, vu son caractère, mais il lui était arrivé d’assurer des missions d’infiltration et de renseignements avec son bar. Et elle s’était refait un réseau depuis son déménagement de Chiki. Et ses missions de renseignements, elle comptait bien les faire valoir à la Tour pour qu’elle prenne les dispositions nécessaires, et que Quigg lui foute enfin la paix qu’elle méritait amplement vu les services rendus à la population. Il avait déjà joué de manœuvres déloyales en ouvrant des bars excessivement près, en toute objectivité, de son adresse à elle. Elle comptait bien un noyau dur de clients habitués qui appréciaient sa carte et sa personne, mais combien de temps la maintiendraient-ils hors de l’eau ? Combien de temps pourrait-t-elle assurer sa double vie d’agente et de tavernière ?
Elle but son médicament sans ménagement, remis un ordre sommaire dans ses papiers et ses affaires, enfila une tenue plus adéquate, sans breloques, à un départ immédiat impromptu et embarqua tout son matériel empaqueté en même temps qu’une veste avant de sortir vers la Tour.

Lucy commença donc par les services administratifs, pour y chercher son ordre de mission ou du moins, la raison du bip, et pour en profiter pour glisser sa demande d’assistance contre les manœuvres de Quigg Certi qui lui sabotait son outil de travail, sa couverture, et son bébé chéri par la même occasion.

« Quigg Certi, Quigg Certi… répéta le secrétaire, ce nom me dit quelque chose.
_Il détient tout ou presque des boîtes de nuit de cette ville, lâcha Lucy, blasée.
_Ce ne doit pas être pour ça. Je ne vais que rarement en boîte de nuit, on ne s’y entend pas….
_Je vous comprends. »

Le jeune homme pianota sur son clavier, et son visage s’éclaira :

«Je savais bien que ce nom me disait quelque chose ! Il est affecté à votre unité ! »

Le visage de Lucy blêmit.

« Plaît-il ? … réussit-elle à peine à articuler.
_Tout à fait. Dans les missions de groupe, il risque fort d’y être présent.
_QUOIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII ! » explosa Lucy.

Les stylos du bureau volèrent. C’était une déformation du pouvoir de barrière télékinétique de Lucy. Et elle avait réussi in extremis à viser les stylos, plutôt que les vases Ming.
Le jeune secrétaire, déconfit, bredouilla :

« Vous ne le saviez pas ? N’étiez-vous pas appelée à la mission d’il y a deux semaines ? »

Les stylos revolèrent contre les murs. Lucy ne se souvint qu’à peine que son bipper n’était pas resté à portée d’oreille tout le temps, et donc, qu’elle avait manqué l’appel. En même temps, ses pensées étaient tournées ailleurs….

« Je vais le crever cet emplumé… » grommela-t-elle froidement entre les dents.

Forcément, Quigg Certi était la cause de sa déficience professionnelle. Son jugement risquait d'être biaisé longtemps avec une telle obsession en tête.

« Laissez-nous régler cela à l’amiable, gémit l’administratif. Il y a forcément une voie sereine d’arranger les choses.
_Il me pourrit la vie jusqu’au bout et je ne suis pas immortelle », lâcha la métis, contenant sa rage.

Elle prit quelques bouffées d’air avant de demander :

« Quand est-ce que je pars ?
_Dans une heure grand maximum, le temps que tout le monde arrive, fit-il d’une toute petite voix. Au vu de la situation actuelle, nous préférons un tir groupé mais le voyage sera assuré par l’empereur du Ciel lui-même. Voici votre ordre de mission avec les consignes, fait-il en tendant une feuille.
_Parfait… »

Et elle saisit le papier, avant de partir en lâchant un bref « merci et au revoir ».

*Quelques instants après, au pays de l’été*

Lucy salua poliment Cordélia, succinctement Daniel, qui lui sembla avoir petite mine, Lillian et Ian, anges avec qui elle avait déjà travaillé, l’une en repoussant une tentative d’Inyanapping, l’autre contre une des prêtresses ici présentes (et une véritable saleté soit dit en passant)… Elle revint vers Daniel :

« Garde-moi du coin de l’œil blondinet s’il te plaît. Il y a certaines personnes qu’il ne vaut mieux pas que je voie, je risquerais d’être violente… Tiens-toi prêt à m’assommer d’une patte ou deux si nécessaire. »

Daniel lui sortit un air interloqué, mais elle passa outre.

Serrant les mâchoires, elle écouta la grande prêtresse avec attention, et se crispa plus fort en apprenant qu’ils allaient être privés de leur don.
Ce n’est pas rendre Lucy totalement inoffensive que de procéder ainsi. Son art de l’escrime, elle le conserverait, et son héritage morphologique angélique, à savoir ses ailes, ne devrait pas se volatiliser non plus.
Mais la priver de ses boucliers et de ses sorts de soins, voilà qui la rendrait moins endurante quelque part.

Elle jeta un œil à la prêtresse qu’elle avait déjà combattue. Elle avait déjà peiné en pleine possession de ses capacités alors là, cette dernière  s’amuserait avec sa tête…. Et quand elle posa son regard sur son unité, l’équipe lui semblait gémir, voire languir en asphyxiant sous la nouvelle, bœuf braisé d’une autre sorte…

Plus qu’à espérer que le plat soit savoureux…

(1030 mots)

Daël n'était pas beaucoup plus avancé que Elysa sur la raison de leur voyage au Pays de l'été. Surtout qu'il n'était pas vraiment un spécialiste de ce lieu. Daël avait quelques siècles mais avant que sa sœur ne vienne s'installer sur Emeraudia, il avait principalement vécu sur Terre, au Paradis, et il avait encore parfois du mal avec les mœurs de son nouveau monde d'habitation. Déjà, le fait que le seul peuple croyant de cet univers vénère une déesse Olympienne avait de quoi le perturber. Chez lui, les dieux de l'Olympe étaient des sortes de traîtres qui étaient devenus des divinités uniquement parce qu'ils n'avaient pas respecté les règles. On ne les respectait pas, et en général on les raillait. Alors, forcément, il n'était pas très à l'aise… Et en plus, qui disait Pays de l'été disait aussi Tamia, or, sans la détester, Daël n'en était pas un très grand fan.

« Je ne sais pas, mais on va bien finir par nous le dire. » La rétention d'information, ça, par contre, c'était familier pour lui. Au Paradis, on avait toujours eu tendance à lui cacher les trucs importants, par exemple qu'on libérait sa sœur uniquement pour l'utiliser comme arme de guerre. Il avait tendance à penser que c'était inévitable chez les gens qui ont du pouvoir, ça devait sûrement les amuser de les regarder se débattre avec les conséquences de ce manque de communication.

Il avait pressé la main de sa femme dans la sienne, mais du regard il cherchait aussi son partenaire, Arawn. L'ange se demandait si le démon avait eu des nouvelles à propos de ce qu'il avait déniché la dernière fois ou bien si on ne leur dirait que là, ou peut-être qu'on ne leur dirait rien du tout. Il n'en serait pas plus surpris que ça.

De même, s'il fut surpris de ce que Tamia annonça, il le cacha très bien. Il faut dire que dans son métier, être impassible était une qualité importante. Et chez les anges terriens, c'était aussi le meilleur moyen de rester en vie. « Tu la connais… c'est sûrement encore une mauvaise blague. Quartz ne la laisserait pas nous faire du mal. » Il n'avait pas une très grande confiance en Tamia, en revanche, il aimait bien Quartz. L'Inya était parfois honnête au point d'en être blessant, mais il avait comme grande qualité de toujours veiller au bien-être de tous. Et les priver de pouvoir de façon définitive n'était sûrement pas le meilleur moyen de les protéger, n'est-ce pas ? Surtout que certains, comme les vampires, ne vivaient qu'à travers leur pouvoir. Pour les anges, ça dépendant quel pouvoir on leur volait. On pouvait très bien prendre ses pouvoirs personnels en lui laissant sa nature d'ange. Des anges qui n'avaient pas de pouvoir personnels, ça existait. Son ex en faisait parti. D'ailleurs, il aurait été intéressant de savoir si elle était là ou non. Mais le parvis était plutôt bien rempli, et il eut déjà du mal à repérer la chevelure couleur flamme de son coéquipier.

Comme Elysa s'approchait de sa propre coéquipière, lui se dirigea vers Arawn. « Salut ! Alors, content d'être revenu chez toi ? » Ils étaient tous un peu serrés comme des sardines, mais si on regardait le visage de Daël, on apercevait quand même un sourire très ironique ses lèvres. Et ce n'était pas du au peu de place sur le parvis, mais à la situation. Il était un ange, en mission en enfer, et on disait qu'on allait le priver de pouvoir. Il avait quand même connu de meilleurs jours ! Même si, contrairement à sa femme adorée, il n'était pas très inquiet pour les raisons précédemment cité. Il était en revanche assez curieux pour ce qui était de son coéquipier qui venait de l'endroit où ils se trouvaient. Que pouvait-il penser de tout ceci ? Enfin… au moins, s'ils devaient rester là un peu plus longtemps, Arawn devait sûrement pouvoir jouer le guide, ce serait toujours ça de pris. Car le Pays de l'été, c'était très joli comme endroit. Daël se disait juste que ce serait mieux si un jour il y venait en vacances avec Elysa plutôt que pour des rituels saugrenus !

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