Lucy ne s’était pas montrée du plus grand réconfort pour Daniel, amère qu’elle pouvait être encore d’avoir croisé son plus grand rival actuel. Il essaya donc de digérer la honte de son bain tout seul ; l’oubli que procurera le temps pourrait aider à finir ce travail.
Constatant les effets épouseurs de forme qu’avaient les transparents vêtements immergés de la reine des Enfers contre son corps, certes joli au demeurant mais il est question de Daniel ici, le changeforme évitait le plus possible d’avoir les yeux posés sur elle, et balayait du regard la pièce du rituel.
Quand elle donna les consignes pour la posture à adopter durant le sortilège, sa main rencontra naturellement celle de Lucy, l’autre celle d’une bonne âme à ses côtés, appartenant à une jeune femme dont il n’a aucun souvenir vivace d’ailleurs. Il écouta attentivement le cours d’histoire qu’elle leur fit aussi. Lui qui avait connu le besoin comprit aisément le soulagement qu’avaient dû ressentir les premiers démons qui avaient rencontré leur déesse bleue, ainsi que l’adoration qui en avait été engendrée pour elle et tous les objets qui avaient pu lui appartenir. De même visualisa-t-il clairement la
pétaudière que ce vol entrainait.
Aux premiers temps de l’incantation, un gaz diffus lui sembla émaner de son corps, un éther couleur de flammes, ce qui contrastait avec ses propres lueurs de transformation. Cette vapeur courait le long de sa peau pour se rassembler à hauteur de son cœur, et se modela pour une forme quasi chevaline qui courut vers le bâton de l’ensorceleuse. A l’intérieur, fusionné avec les autres dons et projeté au plafond, il déclencha un souffle chaud digne du désert saharien, et il sentit les ongles de Lucy lui pénétrer la chair tandis qu’ils assuraient tous leur prise pour ne pas rompre le cercle. En d’autres circonstances, il aurait sans doute été émerveillé du jeu de lumières que ce rituel créait pour localiser le sceptre chéri. Leurs pouvoirs combinés dessinaient des formes géométriques dignes d’un tir magistral au
billard.
Quand le sort cessa, et le vent avec, il plia une jambe qui s’amollissait comme une
marmelade. Lucy campait sa position, la détermination et la rage précédente aidant à cela sans doute. Et Tamia les invita à faire ce qu’ils voulaient de leur temps libre jusqu’au départ.
Il suivit docilement la jeune prêtresse qui lui avait silencieusement fait comprendre la nécessaire nudité à adopter pour la purification. Elle avait dû le prendre en affection dans sa dernière détresse, et était venue le trouver tout de suite à la fin de la tâche. Elle lui avait délicatement pris le poignet, et le guidait vers sa chambre,
poulet trouillard mais confiant.
Daniel s’assit directement sur le lit, il se sentait tout de même assez fatigué, et se remémora sa journée. Quand il arriva à l’étape de l’interception brutale de Lucy, il mit ses mains devant lui.
Submergé par ses émotions, la métamorphose s’était produite inconsciemment. Là, il avait du temps, et l’esprit un peu plus disposé qu’alors. Bien qu’ayant envie de se reposer un minimum, il commença par recréer le dard, en version miniature, moins gourmande en ressources énergétiques, au milieu de sa paume, puis l’imprégna du venin analgésique qu’il avait emprunté à un
serpent. Enfin, il réintégra le tout dans sa chair. Ainsi, il en était arrivé à une telle souplesse génétique ? Il en eut confirmation quand il parvint une première fois sur sa main gauche à produire un petit carré de fourrure lupine, et sur sa main droite, une cuirasse écailleuse de requin. Enfin, dans un second temps, il orna sa gorge de quelques plumes de corbeau, et les accompagna de deux yeux dorés de vipère au lieu de leur bleu habituel, qu’il vit dans un miroir de la pièce.
En entendant que l’on approchait, la poussée d’adrénaline que ressentit Daniel fit remettre le dernier duo à son état normal, et chassa momentanément son sentiment de lassitude. Il avait paniqué à l’idée d’être vu sous sa petite expérimentation. Il s’allongea sur son lit, respirant profondément pour calmer la chamade à laquelle se livrait son palpitant.
Il tourna la tête vers le nouvel entrant : c’était Daël, un ange avec qui il n’avait jamais eu à faire équipe, à part pour les batailles groupées. Il avait retenu son prénom, au fur et à mesure des dites missions, mais c’était un exploit. Il le salua.
Daniel se redressa, resta assis au bord du lit et répondit un « bonjour Daël » d’un ton coutois, un discret sourire aux lèvres.
Il finit par lui demander s’il avait prévu de faire quelque chose. Là, c’était la colle.
Daniel leva les yeux au plafond, le regard perdu dans le vague, les mains s’entrelaçant l’une contre l’autre par à coup :
« Eh bien… Je n’y avais pas réfléchi… » Il marqua un temps de réflexion, puis eut une idée. Il regarda l’ange.
« Quand Lucy est revenue de l’entraînement contre une prêtresse, outre me gronder sur le fait que j’aurais quand même mieux fait d’y aller pour mon bien qu’elle dit, elle m’a parlé d’une nature vraiment belle ici. Je l’ai à peine vue à mon arrivée, et j’aimerais mieux la découvrir… Si ça ne te gêne pas de te promener un peu loin des lieux habités ? » Et c’est Lucy qui faisait de la
remédiation pour ce qui était de son art combatif… C’était elle qui avait proposé la surveillance de sa taverne pendant la mission contre un cours de ce qui se passait au pays de l’Eté. Détaillant un peu mieux du regard la chambre, Daniel remarqua une cruche d’eau, et des petits gâteaux secs.
« On pourrait peut-être alors grignoter avant de partir ? Est-ce que nous sommes attendus pour un repas tous ensembles ? On pourrait manger dehors sinon… » Un peu plus tard…
Daniel avalait goulûment l’air extérieur, à croire qu’il sortait d’une séance d’apnée dans la salle du rituel.
Les vestales s’étaient montrées très accueillantes. Bien qu’il aurait pu avoir accès à l’information par une métamorphose en un animal volant, Daniel s’était économisé de l’énergie pour en apprendre un peu plus sur les environnements voisins.
Les forêts étaient vraiment différentes ici par rapport à celle non loin de chez lui, et une petite rivière, courrait le long du bois. Il s’adossa à un arbre, les yeux clos, il voulait percevoir les pulsations de cette nature au travers d’autres sens que celui de la vue. Il entendait les oiseaux chanter au dessus de sa tête ; touchant le tronc, il pouvait deviner la course folle des fourmis travailleuses, et son odorat adorait l’odeur de la terre humide.
Daniel était très capable de se renseigner plus en avant au travers de cette vie sauvage : il pouvait contrôler
abeilles, musaraignes, lynx, hippopotames, et éléphants s’il le désirait. Mais il répugnait à utiliser tel un objet un animal. Et ses vieux cours d’éducation civique lui revinrent en mémoire :
"Les animaux du monde existent pour leur propres raisons. Ils n'ont pas été créés pour les humains, pas plus que les noirs n'ont été créés pour les blancs ou les femmes pour les hommes." (Alice Walker)
Il lâcha à voix intelligible :
« Dommage que notre mission ne soit pas d’explorer ces lieux… » (1218 mots)