Note : cette histoire se passe après mon roman Emeraudia (d'où certains sujets que je n'aborde pas vraiment), mais pendant l'actuelle intrigue du forum.Chiya
« Mais non, maman, tout va bien, je t'assure. » Je changeais le téléphone d'oreille pour ouvrir mon bocal de cornichon sans le détruire au passage. Je me connaissais assez pour savoir que s'il m'agaçait, il allait finir par éclater sous la pression de mes doigts. J'étais quelqu'un de plutôt calme et patient en général, sauf quand mon déjeuner était en jeu et que je devais expliquer à ma mère adoptive que je ne pourrais pas revenir à Tolerancia avant quelques temps. On ne réfléchit bien que l'estomac plein, c'est ce que dit toujours mon oncle Vlad'. Même si dans sa bouche, ça a quelque chose d'un peu effrayant puisque c'est un vampire et qu'il se nourrit de sang. « Pourquoi est-ce que Quartz te retient ? Il doit bien y avoir une raison… tu veux que je téléphone à Tampopo ? » L'angoisse que je sentais poindre dans la voix de Yusura me fit sourire malgré moi. « C'est bon maman, je fais juste mon travail. Mais je te rappelle dans la semaine, d'accord ? Passe le bonjour à Raziel et aux autres. » Yusura essaya de rajouter quelque chose mais je lui raccrochais au nez. J'avais vaincu l'ouverture des cornichons et mon estomac vide grognait.
Je regardai l'heure sur l'horloge murale de mon appartement, si je devais aussi téléphoner à oncle Zahi', je ne pourrais jamais manger… aussi renonçais-je. Temporairement. Quasiment certaine qu'au moment où je débranchais mon téléphone pour être sûre de pouvoir terminer mon sandwich, ma mère avait déjà appeler mon oncle en espérant qu'il en sache plus qu'elle sur mes missions actuelles. C'était ridicule. Je faisais encore plus de rétention d'information auprès de mon oncle qu'après de ma mère. Surtout qu'il était humain et plus si jeune, je ne voulais pas qu'il se fasse des cheveux blancs inutilement. Au sens propre. Mon oncle est très brun alors ses mèches blanches commencent à se voir. J'ai failli lui conseiller de se teindre la dernière fois que je l'ai vu, mais si ça se trouve, il assume très bien de voir ses cheveux blanchir. Les humains sont comme ça. Ils savent dès leur naissance qu'ils devront vieillir un jour, même si leur durée de vie sur Emeraudia était un peu plus longue que sur Terre.
Quand je parlais ainsi des humains, on avait tendance à me lancer un regard condescendant : qu'est-ce que je pouvais en savoir alors que j'étais immortelle ? Peu de gens savent que si mon corps est celui d'un ange, mon âme a été humaine autrefois. Et je ne sais que trop bien ce que ça fait de mourir. Je me souviens de la mienne, de ma mort je veux dire. Parfois ça me hante. Mais j'ai bien d'autres démons, bien d'autres choses pour remplir mes cauchemars…
Une fois que j'eus fini de manger, je rebranchais mon téléphone qui m'indiqua que j'avais trois messages : deux de mes frères et sœurs, et un de mon oncle.
Enfin… en réalité, les jumeaux n'étaient pas vraiment mes frères et sœurs, pas plus que Yusura n'était ma mère, ou Zahi' mon oncle. J'ai dit que j'avais été humaine et que j'étais morte, ce qui était vrai. Mais puisque je suis là, aujourd'hui, plus de 25 ans après ma mort, vous vous doutez bien que je suis revenue. Et comme je l'ai déjà dit ça aussi, je suis revenue dans le corps d'un ange. Certains vendent leur âme au diable, moi je l'ai vendu à la déesse Vénus. On a pris mon âme et on l'a mise dans un corps fabriqué exprès à mon intention. Ma famille actuelle est celle à laquelle j'ai été magiquement liée à ma création, tout ça pour servir les buts de Vénus.
Quand je suis arrivée sur Emeraudia j'avais le corps d'une jeune fille d'une quinzaine d'année et le mental d'une gamine d'au mieux dix ans. Yusura ne voulait pas s'occuper de moi au début, et puis petit à petit, on a formé une famille tous ensemble dont j'étais le centre. Exactement ce qu'avait voulu Vénus. Dès le départ, j'appelais Raziel, Zahikel et Vlad « tonton », mais pour Yusura, ça a évolué. Au bout d'un certain temps, nous avons assumé notre relation étrange où elle tenait lieu de mère et moi d'enfant. Et quand elle a eu des enfants avec Raziel (ils en ont quatre dont une paire de jumeaux), je les ai considéré comme mes pénibles petits frères et sœurs. Toutefois, Raziel et moi avons toujours eu peu de conversation. Celui qui tient le rôle du père dans mon noyau familial c'est Zahikel. La partie humaine de mon être avait tout de suite été attirée vers lui car il me rappelait l'oncle que j'avais quand j'étais humaine et la seule personne qui se soit jamais soucié de mon bien-être.
Ma vie est bizarre, je sais. Mais je l'aime bien comme ça. Même si j'ai de nombreux regrets et que je ne suis plus vraiment l'ange innocent que j'étais quand je suis arrivée sur Emeraudia. Je suis même réputée assez dure chez les agents. Inabordable. Violente. Manquant d'humour. Et ce n'est pas faux. Je n'ai plus vraiment le coeur à rire depuis la Presque-Guerre. Mon fiancé y est mort et ensuite Vénus m'a volé mon bébé. Je vois mon fils de temps en temps, mais nous n'avons pas de relation filiale réelle. Les liens du sang ne font pas tout, et je n'ai pas envie de me souvenir de Rin.
Comme regarder mon téléphone en pensant à toutes les bizarreries de mon existence n'allait sûrement pas me mener à grand-chose, j'envoyais des sms aux jumeaux, et j'appelais mon oncle. « Tonton ? C'est Chiya !
- Ah ! Chiya ! J'ai eu Yusura et…
- Et elle est inquiète parce que je n'ai pas de jours de congé. Je sais.
- Il y a des raisons d'être inquiets ? » Une nouvelle guerre probable, la destruction de toutes les dimensions… bof. La routine quoi. « Mais non, c'est juste que tu sais comment est Tampopo parfois, elle risque de détruire Comynerin si je ne suis pas dans le coin pour filer un coup de main à Lantys et Quartz. Et puis, il y a pas mal de passages à ouvrir en ce moment, et je suis la plus qualifier pour ça. Mais dès que j'ai un jour, je viens passer un peu de temps à Miroirem. » J'ai ensuite habilement (ou pas) détourner la conversation.
Dire que je n'avais pas de temps m'en avait pris bien trop. J'allais devoir rattraper tout ça ce soir… ce qui était plus ou moins prévu. Je devais retrouver Mathieu pour fermer un portail cette nuit. C'était en plein centre-ville, on ne pouvait pas faire ça en plein jour. Je remplaçais sa coéquipière habituelle pour plusieurs raisons : 1) elle était très occupée par ses histoires de cœur 2) il fallait bien que je m'occupe un peu des miennes aussi 3) je n'avais pas menti au téléphone, je suis la meilleure pour ce qui est de contrôler les portails, et pour ça je n'avais pas besoin de la technologie, cela faisait parti de mes pouvoirs.
À 20h tapante, j'étais devant la grande porte de la Tour Bleue. Mathieu m'y retrouva, tout de noir vêtu, comme moi. « Salut chérie, contente de me voir ? » Je grimaçais pour la forme « Oh, ta gueule Mathieu, on a du boulot. » Je n'avais toujours pas parlé de Mathieu à ma famille, parce que je ne savais pas vraiment où nous en étions. Il faut dire qu'il y avait quelques temps de ça, il était transi d'amour pour une autre. J'avais des raisons de douter de sa sincérité. Et il était humain. Je ne voulais pas me la jouer comme Tam', mais la mortalité des humains était quand même un problème dans une relation, non ? Et j'avais beau faire une vingtaine d'année à tout casser, j'étais en réalité plus vieille que lui… et j'avais un fils qui ne s'intéressait pas à moi… Et je pouvais continuer comme ça pendant un moment. Je n'en doutais pas, et Mathieu non plus.
« Pourquoi il faut qu'on soit deux pour fermer un portail au fait ? » demandais-je, sans compter que je n'étais plus agent, mais garde du corps des Inyas. « Une fleur que me fait Quartz » Ahah, cette bonne blague. Si je ne devais pas le protéger, je pense que je tuerais Quartz. Notons qu'à une époque, quand il s'en était pris à Jade, j'avais essayé. Mais c'était il y a longtemps et tous les agents de Tolerancia de l'époque pouvaient en dire autant. Il n'était pas vraiment Mister Popularité sorti des murs de Savoir, voire de Comynerin.
Et, en effet, fermer le portail fut tellement facile qu'il était évident que ce n'était pas le but de Quartz. C'est du moins ce que je pensai jusqu'à ce que je sente une énergie négative sur ma droite. « Mathieu ! Attention ! » Je plongeai de toute mes forces sur lui pour le faire tomber, ce qui lui permit d'éviter une attaque mortelle. Nos assaillants étaient toujours cachés. Je me relevais rapidement, sur mes gardes. J'avais fait apparaître mon sabre et je regardais autour de moi sans apercevoir le danger bien que je le sentis. « Putain mais c'est quoi ça ? » Bonne question mais je n'avais pas de réponse. Une nouvelle attaque surgit du noir tel un faisceau de magie pure. Je le contrai avec mon sabre, le renvoyant à l'expéditeur. Un grognement m'indiqua que j'avais touché ma cible. Chouette. Ils allaient voir si c'était si facile que ça de nous avoir. « Tu comptes rester par terre ou tu m'aides ? » demandais-je à l'humain assis par terre. « Attends, je réfléchis. » je retins toute raillerie. Mathieu était un des meilleurs stratèges de la Tour Bleue, j'aimais autant le laisser faire s'il pouvait nous trouver un plan car même si je renvoyais assez facilement les attaques, je sentais du pouvoir un peu partout, nos ennemis étaient plus nombreux que nous. Et ils savaient qui nous étions. C'est toujours un avantage dans un combat.
« Ouvre le Surmonde et emmène-nous tous ! » Je restais interloquée. « Tu es sûr ? Je n'aurais presque plus de magie si je fais ça... » Il s'était levé et m'avait fait signe qu'il était sûr de lui. « Ok. Couvre-moi. » Demande inutile, Mathieu avait déjà sorti son arme à feu et il m'avait remplacé pour faire dévier les attaques lumineuses. Je levais mon sabre vers le ciel. « Je suis Chiya Lorne, par le pouvoir qui m'a été offert, que les portes du Surmonde s'ouvrent ! » Une faille s'ouvrit, enfla et s'étendit, je fermais les yeux pour créer l'endroit où nous atterririons… mes cheveux, teints en brun par des produits chimiques redevinrent blancs – ça me coûtait une fortune en teinture d'aller dans le Surmonde – et quand je rouvris les yeux nous étions dans une Tour. Mais pas le même genre que celles d'Emeraudia. C'était un bâtiment qui représentait mon esprit, nul ne pouvait y entrer sans ma permission et par les meurtrières on pouvait apercevoir le paysage alentour, un ensemble de tours semblables à la mienne et des nuages – ou du brouillard – orange. Chaque Tour appartenait à quelqu'un, mais en général à des personnes endormies, car les maîtres du Surmonde, ce que j'étais, étaient rares sur Emeraudia.
Les attaques avaient cessé et à la lumière artificielle de ma propre psyché, je voyais désormais les visages de nos ennemis. Des Olympiens. Comme c'était surprenant… Je remarquais que Mathieu était blessé au flanc mais cela paraissait sans gravité, ou du moins sans urgence. Maintenant, nous étions face à nos ennemis, mais sur mon terrain. Et surtout je savais pourquoi nous étions attaqués. C'était rassurant de savoir que nous n'avions pas de nouveaux ennemis, que c'était juste moi qui avait toujours les anciens.
« Franchement… Je peux savoir ce que vous êtes venus faire sur les terres d'un autre dirigeant pour m'attaquer ? Et je vous conseille de répondre parce que le monsieur derrière moi n'est pas très content. » Mathieu n'était pas un grand fan du Surmonde en plus. Comme beaucoup d'humains, il craignait d'y retrouver quelqu'un qu'il avait connu, et en tant qu'agent, qu'il avait tué. Ce qui dans ma Tour avait peu de chance d'arriver, mais d'une manière plus générale il fallait se méfier du Surmonde. Nos ennemis le savaient, comme ils savaient que ça m'avait pris presque toute ma magie. Sauf que Mathieu avait toujours la sienne, et nous avions aussi nos armes. Il semblait que ça ait été une bonne idée.
Vous pensez peut-être que j'aurais pu y songer toute seule car ce n'était pas un plan bien élaboré. Vous vous trompez. Je suis douée pour l'action, mais je suis carrément nulle pour avoir des idées. Ce n'était pas pour rien que je m'étais reconverti garde du corps des Inya : un danger = une réaction. Pas besoin de réfléchir. Et mon premier réflexe est toujours de préserver ma magie, c'est désagréable de tomber à cours quand on combat.
« Vénus préférerait te savoir morte. » Pas une nouvelle de première fraîcheur, mais soit. « Mais encore ? » Comme aucune réponse ne venait, Mathieu fit apparaître des bulles d'eau autour de chacun de leur visage. Plus facile à faire quand on voit ses ennemis, je vous l'accorde. Quand ils commencèrent vraiment à étouffer (même les anges ont leur limite), il relâcha sa magie et mes semblables se retrouvèrent trempés. Je souris d'un air mauvais : « Alors ? J'attends. » Il fallut encore deux salves de Mathieu pour qu'enfin ils se désolidarisent de leur chef et parlent : « Ton fils commence à poser des questions, Vénus pense que ta mort les ferait cesser. » Ce qui n'était sûrement pas faux. Quant aux questions qu'il posait… je me demandais quels en étaient la teneur. C'était peut-être à propos de son père… Enfin. Peu importe. Un problème à la fois. « Ok. Bon. Je vais être sympa et je vais utiliser ce qu'il me reste de magie pour vous renvoyer en Olympe avec un coup de pied aux fesses. Vous en profiterez pour passer le bonjour à Vénus et lui dire d'aller se faire foutre. » joignant le geste à la parole, j'ouvris un portail et avec l'aide de Mathieu, je les poussais de force (j'aimais l'image des coups de pieds dans le derrière, mais aucun ne voulut gentiment me présenter ses fesses, dommage).
Une fois seuls, je m'assis dans un coin de la pièce en soupirant. « Et nous ? On rentre comment ? » La bonne question était quand, pas comment… « Il faut que je récupère un peu de magie, mais nous sommes en sécurité ici. » Mathieu observa la pièce, haussa les épaules nonchalamment et s'assit à côté de moi. « Tu veux en parler ? » Je ramenais mes genoux contre ma poitrine et posais le menton dessus « Non. » Il ne répondit pas et le silence s'installa entre nous. Mais ce n'était pas un silence inconfortable, gênant, c'était plutôt le genre de silence qu'il y a entre personnes qui ont vécu des choses difficiles, parfois ensemble, et qui n'ont pas besoin de parler pour se comprendre. Dans mon esprit se bousculaient mille pensées… Que je finis par remettre à plus tard quand je sentis ma magie revenir.
« Rentrons. » Dis-je sans savoir combien de temps nous étions restés ainsi assis l'un à côté de l'autre. Et une fois de l'autre côté du portail, de retour à Savoir, je pris directement le chemin du retour à mon appartement… mais au bout de quelques secondes, je stoppai ma marche et me retournai : « Demain. 15h. On va prendre un café. » Puis, je disparus pour de bon, choisissant de me téléporter pour éviter toute conversation.
Quant à Vénus… ma foi, ça ne m'inquiétait pas trop. Après tout, la dimension était sur le point de se casser la gueule (visiblement ça lui arrivait fréquemment) ce qui finirait par la distraire, qui plus est, elle n'était pas la déesse de la constance, elle se lasserait avant moi. Mais j'allais éviter d'en parler à ma famille… par contre, je leur dirais peut-être que j'allais sortir avec Mathieu.
Peut-être.